Le sacerdoce universel (1 Pierre 2, 1-9) 22 Septembre 2019

Le sacerdoce universel (1 Pierre 2, 1-9) 22 Septembre 2019

Puisque ce jour est journée du patrimoine,  je vous propose de revisiter un des piliers principaux de la Réforme protestante,  et peut-être l’un de ceux qui fut le plus polémique en son temps… et qui est je le crois aussi un de ceux qui est le plus mal compris par les protestants eux-mêmes… au point que parfois on lui fait dire aujourd’hui le contraire de ce qu’il signifie !

J’en viens même à penser que ce pilier, ce point fort, cette fondation du protestantisme est devenu bien souvent son talon d’Achille tellement il est mal compris !

Et c’est à mon sens d’autant plus dommage que ce point remis en valeur par la réforme protestante devrait pouvoir être vraiment une ressource pour la vie chrétienne et notre témoignage dans le monde !

Ce pilier du protestantisme sur lequel je vous invite à réfléchir ce  matin c’est la notion de sacerdoce universel :

Ce principe du sacerdoce de tous les croyants (ou « tous les baptisés ») trouve son origine dans la première épître de Pierre, ch2 verset 9 et son  repère dans le sacerdoce du Christ lui-même

Luther en a posé le principe dans un de ses grands écrits réformateurs adressé à la noblesse de la nation allemande… Je vous le cite tel quel :

On a inventé que le pape, les Evêques, les Prêtres et les gens de Monastère seraient appelés «état ecclésiastique », et que les princes, les Seigneurs, les artisans et les paysans seraient appelés « état laïc », ce qui est certes une fine subtilité et une belle hypocrisie. Personne ne doit se laisser intimider par cette distinction pour cette bonne raison que tous les chrétiens appartiennent vraiment à l’état ecclésiastique ; il n’existe entre eux aucune différence, si ce n’est celle de la fonction… Nous avons un même baptême, un même évangile, une même foi, et nous sommes de la même manière chrétiens, car ce sont le baptême, l’évangile et la foi qui seuls forment l’état ecclésiastique… En conséquence, nous sommes tous consacrés prêtres par le baptême.[1]

Vous imaginez qu’au moment où Luther écrit ces lignes, alors qu’on sortait à peine du moyen-âge, ces paroles ont pu faire l’effet d’une bombe !

Et vous comprenez que dans cette société où le clergé et la papauté exerçait un pouvoir si grand sur la société, vous comprenez que le sacerdoce universel a été à l’origine de bien des ajustements et des réorganisations dans la vie de l’Église !

Mais je vous disais que le sacerdoce universel était aussi souvent mal compris… et l’un des glissements les plus courants… est de glisser du sacerdoce universel au suffrage universel, comme si au nom de ce principe s’instituait de fait un genre de démocratie ecclésiale ! et nombreux sont les protestants tout à fait convaincus que nos églises seraient organisées comme des démocraties parlementaires, où les synodes feraient office d’assemblée nationale !

… même si l’on peut tisser des liens entre le système synodal tel qu’il fonctionne dans notre Église et le système parlementaire, il ne faudrait pas oublier que l’Église n’est pas et ne peut pas être une démocratie car elle est avant tout, une Christocratie : ce n’est pas le peuple au pouvoir, où la majorité qui décide….

J’ai bien dit une christocratie : Jésus-Christ, seul chef de l’Église, c’est lui et lui seul qui en est la tête.  Et en tant que tel, le pouvoir du Christ est la contestation permanente dans l’Église de tout autre pouvoir :  que ce soit celui qui serait entre les mains d’un clergé, ou entre les mains du peuple et de la majorité.

 

Vous avez certainement entendu parler de tous les « sola » de la Réforme : sola scriptura, sola gracia, sola fide :  la foi seule, la grâce seule, l’Ecriture seule… et bien on a pu dire avec justesse que le sacerdoce universel, c’était le solus Christus : c’est le Christ seul… et non pas comme en a fait trop souvent : l’individu seul !  Vous savez selon la formule : chaque protestant est pape une bible à la main !

Sous entendu, chaque protestant est son propre patron, son propre maître à penser, il n’y a personne au-dessus de lui pour lui dire ce qu’il doit penser, croire ou faire…

Et bien la réalité, c’est que si on fait du sacerdoce universel, la justification de notre individualisme naturel… (comme c’est malheureusement souvent le cas) et bien cela peut bien  nous faire devenir tous des petits papes ou des petits pharaons, mais cela ne fera pas de nous des chrétiens…

Ce n’est pas parce que nous pouvons nous adresser directement à Dieu dans la prière, ce n’est pas parce que « tutoyons Dieu » que cela nous dispense d’entendre et de rencontrer le Christ dans le visage de nos frères.

La liberté de conscience, et la responsabilité personnelle auxquelles nous sommes à juste titre si attachés ne sauraient se résumer à une solitude orgueilleuse directement connecté à Dieu,  où nous voudrions pouvoir juger de tout mais où nous n’accepterions de remarques de personne…

La réalité c’est que dans sacerdoce universel il y a « sacerdoce »… et comme l’usage courant en français l’indique… c’est un vrai « sacerdoce » !

Quand on dit cela dans les conversations…. Quand on parle de sacerdoce, je ne sais pas si vous avez remarqué mais cela transpire de pitié, ça dégouline…:

  • Oh lalà ! ma pauvre dame… faire un métier pareil : soigner les autres, être infirmier ou aide soignant, quand il faut les laver et les nettoyer, et les porter, et les assister dans le moindre geste de la vie quotidienne : c’est un vrai sacerdoce !

 

  • Ou làlà ! mon bon monsieur ! enseigner de nos jours à ces gosses de banlieue (entendez « ces sales gosses ») qui remettent en question toute forme d’autorité, qui sont soit des hyperactifs ou franchement amorphes… oulalà ! quel sacerdoce ! Quel sacrifice !

 

Sacerdoce… Sacrifice…Au Québec, le mot est devenu un juron, on dit : –  oh ! sacrifice !  comme on dirait m…ince !

Le sacrifice, comme le sacerdoce n’ont pas la côte !

Or le protestantisme dit :  le sacerdoce est universel ! Il ne s’agit pas de quelques gars à part, ou quelques bonnes soeurs qui ont reçu reçu une vocation de Dieu…

Il ne s’agit pas non plus, comme certains protestants l’imaginent parfois, que c’est terminé, nous serions dans une église sans prêtres : que nous serions tous des laïcs !  Le sacerdoce universel, cela signifie que nous sommes tous prêtres, tous les croyants sont prêtres et sont appelés à vivre leur sacerdoce, c’est leur responsabilité !

Et qu’est-ce que fait un prêtre ? Et bien un prêtre se tient tout à la fois devant Dieu et devant les hommes,  il porte ces frères les humains dans la prière, et il est porteur d’une parole de Dieu pour les hommes.

 

En fait ce rôle-là, ce rôle de prêtre, c’est par excellence le rôle qu’a habité Jésus de Nazareth, qui a vécu pleinement comme un homme devant Dieu jusque dans la plus grande vulnérabilité, Jésus qui a été aussi le porteur de cette parole de Dieu, qui l’a incarné parfaitement : parole de libération, parole qui guérit et relève et restaure….

Et bien être chrétien c’est vivre ensemble une vocation de ce type les uns pour les autres, être prêtre les uns pour les autres, les porter dans notre prière et notre intercession, et être aussi l’un pour l’autre le visage du Christ, ses mains, ses oreilles et sa bouche…  C’est cela le sacerdoce universel, c’est cela notre vocation commune…

Et vous vous rendez-compte que cela est tout le contraire d’une justification de l’individualisme et de la spiritualité solitaire : cela veut dire que nous avons un besoin impérieux les uns des autres… notre foi a besoin de celle des autres

J’ai besoin de toi pour entendre dans ma vie la parole de Dieu qui me libèrera, qui me guérira, qui me consolera, J’ai besoin de toi pour entendre dans ma vie cette parole qui m’envoie et me déplace… J’ai besoin de toi, de ta prière et de ton soutien.

Et tu as besoin de moi pour recevoir et vivre ces choses-là toi aussi !

Ce rôle si important si décisif : ce n’est pas le rôle de quelques spécialistes, ou de quelques théologiens, pasteurs, diacres ou conseillers presbytéraux… c’est notre vocation commune, le sacerdoce universel… auquel nous sommes tous appelés,  (Louise, Floriant Stéphanie, vous et moi)  qui est un véritable service… et qui est un humble service….

Tout le contraire d’un pouvoir…  Nous devons apprendre à découvrir et à accueillir l’autre dans son « sacerdoce », dans ce qu’il nous donne et nous communique de la part de Dieu, ce qui suppose une certaine ouverture et aussi une certaine obéissance…

Cela veut dire que nous sommes appelés à écouter l’autre parce qu’il est le relais par lequel je peux recevoir la parole bienfaisante de Dieu, et cela veut dire que nous sommes appelés à parler et à agir parce que je suis, tu es, nous sommes le relais par lequel Dieu agit et parle à l’autre…

Alors évidemment, nous avons immédiatement la plus grande des réserves et des résistances qui réagit en nous : Nous nous méfions généralement comme de la peste de ceux qui débarquent dans notre vie, pour venir nous dire : –  Dieu m’a parlé et il m’a dit de te dire que tu devrais faire ceci et ne plus faire cela…etc…

…et généralement nous avons raison de nous méfier… parce qu’il y a tout de même des gens qui ont tendance à penser que la moindre idée, la première lubie qui leur traverse la tête vient directement de Dieu.. Ce sont des gens qui aimeraient bien faire la pluie et le beau temps, chose dont je suis pas sûr que Dieu lui-même s’amuse à faire… Je ne crois pas que Dieu s’amuse à faire la pluie et le beau temps !

Certainement nous avons raison de nous méfier… C’est vrai il y a des contrefaçons, et le plus souvent grossières…

Comme il y a aussi des contrefaçons de l’amour marquées par la domination et la manipulation… l’humanité ne manque pas d’exemple où les meilleures choses, les plus nobles sentiments, et les plus belles relations peuvent être travesties, défigurées, caricaturées, salies, tordues…

Cette triste réalité doit elle nous vacciner pour autant ? 

 

Est-ce que sous prétexte qu’il existe indéniablement des parents pervers, des conjoints manipulateurs, des amitiés trahies et des amours malsains… doit on pour autant faire le deuil de la vie conjugale et familiale, ou tirer définitivement un trait sur la réalité de l’amitié, et de la confiance possible…

Personnellement je ne peux m’y résoudre… pas plus que je veux me résoudre à laisser la profondeur de la vie chrétienne, du service fraternel et de la parole de Dieu partagée, devenir une chose impossible…

parce que quelques chrétiens stupides et orgueilleux, et quelques autres maladroits ont travestis le sens du sacerdoce universel, qui n’est en définitive, peut-être pas autre chose que de vivre une fraternité en Christ … une fraternité qui se donne et se reçoit.

Et peut-être bien que le sacerdoce universel est en fait le meilleur des moyens pour  découvrir la juste mesure, le bon positionnement dans la foi, où mon rapport avec les autres trouve son équilibre fait de choses que je reçois et de choses que je donne…

où j’expérimente que j’ai besoin des autres et que les autres ont besoin de moi…

que oui je peux vivre cette simplicité là , recevoir et accueillir, écouter et découvrir ce que l’autre m’apporte, et donner, dire et agir dans le service de l’autre.

Certes en fonction de son tempérament, de ses dons, de son appel particulier, chacun est appelé à trouver une place spécifique, une fonction particulière dans le corps de Christ qu’est l’Église, mais  c’est bien une vocation commune que d’être prêtres les uns pour les autres…

Alors mon frère ma sœur cette bonne nouvelle s’accomplira :

En tout temps et en tout lieu chacun d’entre nous trouvera grâce au témoignage d’un frère ou d’une sœur chacun d’entre nous trouvera ce qu’il lui faut de lumière pour apprendre à retrouver le visage de son prochain.

En tout temps et en tout lieu chacun d’entre nous trouvera dans la présence amicale et  bienveillante d’un frère d’une sœur, chacun d’entre nous trouvera ce qu’il lui faut d’eau fraiche Pour rafraichir ses lèvres des mots qu’il n’aurait pas du dire.

En tout temps et en tout lieu chacun d’entre nous trouvera grâce au compagnonnage d’un frère, d’une sœur, chacun d’entre nous trouvera ce qu’il lui faut de sol ferme sous ses pas  pour qu’il puisse continuer à avancer et pour qu’il ait même le droit de trébucher.

 Oui, mon frère, ma sœur,

C’est la ta vocation, ton appel, et le service que Dieu nous confie,

c’est-à-dire pour lequel il compte  sur toi et sur nous

 Pour que…

en tout temps et en tout lieu à travers toi et moi

et aussi par tant d’autres

chacun d’entre nous trouvera la grâce et la paix que Dieu ne se lasse jamais de nous donner…

Amen.

 

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